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cernagauthier

lire rêvasser gamberger et écrire

Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse (billet)

Ellis Island est pour moi, sans détour et avec beaucoup de nostalgie, le souvenir fulgurant et tenace évoquant le film "America, America", réalisé par un monument du cinéma, Elia Kazan, cinéaste et écrivain. Ce film, "America, America", vu quand j'étais ado dans un ciné-club, une époque lointaine où je vivais en ville et bénéficiais voracement de ses avantages culturels, fut un vrai coup de foudre. A tel point, que lorsque j'eu le bonheur d'aller à New York, je n'avais eu à cette époque en tête que d'aller uniquement sur cet îlot où il n'y avait pas si longtemps on débarquait encore les immigrants afin d'être contrôlés aussi bien sur le plan sanitaire mais aussi concernant leurs idées politiques avant de pouvoir enfin avoir le droit de poser le pied sur Manhattan, le point d'origine pour beaucoup des premiers pas sur cette terre tant convoitée et idéalisée.. Maintenant, Ellis Island est devenue un musée, celui consacré à la misère humaine venant des quatre coins du monde. La star brandissant pas loin de là son flambeau, un cadeau des français en 1886, fut écartée sans regret au cours de mon périple touristique au profit de retrouver l'Ellis Island de Kazan et de passer le maximum de temps sur cet îlot mythique.
Le choix du livre, Le dernier gardien d'Ellis Island, fut à l'évidence dû au lieu du récit, je l'avoue. C'était comme par chance y retrouver le pendant du petit roman, fort en rêves portés par tous ces immigrants, écrit par Elia Kazan, utilisant ses réminiscences d'enfant et ceux de son oncle à l'origine de l'immigration pour l'Amérique de toute la famille d'origine grecque vivant en Anatolie. Le Hibou me fit connaître le dernier opus de Gaëlle Josse par sa chronique mis dans LATP que j'évitais de lire pour rester une lectrice vierge (et on ne rigole pas, les mauvais esprits !!!!!) et Delphine conforta mon envie croissante de le lire à tout prix par sa lecture du livre. De plus, ce livre, par sa taille, était parfait, après mes péripéties de lectrices enthousiastes depuis la fin de l'année dernière au travers de sagas constituées de nombreux tomes et souvent d'une épaisseur voisinant le véritable pavé..
Bref, ce petit livre tombait à pic, à la suite du tome 8 de Outlander de Diane Gabaldon, lu en anglais (864 p). En fait, à ma grande stupéfaction, ne comprenant même pas ce manque d'intérêt, en sachant pourtant le plaisir éprouvé à chaque lecture de cette auteure si talentueuse, je n'ai pas arrêté dès le départ de prendre ce petit livre pour lire quelques lignes, puis le reposer ensuite sur le rebord de la fenêtre où je mets généralement mes livres en attente d'être attaqués ou redémarrés, préférant jeter entre temps mon dévolu sur d'autres romans qu'inexplicablement je dévorais sans difficultés. Du coup, sans pouvoir décoller, j'ai piétiné pendant un bon bout de temps à la page 32.. Une misère pour une lectrice invétérée comme moi. J'avais beau me répéter que l'écriture était pourtant belle et le personnage central plutôt énigmatique dans sa monotonie accrocheuse. A ce moment, c'était à ne rien comprendre. Mais, je dus convenir que mon intérêt de lectures était ailleurs à ce moment.. Cela m'arrive parfois ce genre de désintérêt momentané.. Je l'ai donc reposé à nouveau afin d'y revenir plus tard, quand cela serait le moment, je présume..😁
Mission accomplie, j'ai enfin terminé Le dernier gardien d'Hellis Island de Gaëlle Josse avec ses 167p... Certes, j'ai lambiné, mais j'ai fini par aimer découvrir l'histoire de ce dernier gardien d'un îlot au lourd passif pour tous les immigrants qui avaient dû en premier lieu y patienter, parfois des mois, avant d'être autorisés ou non à poser le pied fatidique sur Battery Park, à la pointe de Manhattan, afin d'y démarrer avec grands espoirs une nouvelle vie, obligatoirement meilleure que celle qu'ils avaient laissaient derrière eux sans regrets. Échapper à la misère totale dans son pays d'origine a finalement un prix. Le prix fort. Car tout quitter et envisager ce long voyage pour New York n'a jamais été garanti d'être accueilli par le Nouveau Monde pour les 3ème classes à la différence des 1ères et secondes. Ces derniers étaient débarqués librement à Battery Park tandis que les 3ème classes, les ramassis de miséreux, entassées dans des barges, partaient pour Ellis Island où toute une batterie de fonctionnaires les attendaient pour les contrôler d'abord physiquement, puis intellectuellement. En effet, si la première étape était franchie sans anicroche, les émigrants avaient une seconde étape à passer haut les mains, sinon c'était retour au point de départ de leur aventure ("On leur posera alors 29 questions. De leurs réponses dépend leur avenir."). Avec horreur, j'ai découvert que pour la majorité des questions étaient toujours en vigueur au XXIÈME siècle.. Une paranoïa américaine qui date en fait. Si les "pulmonaires " étaient d'office refoulés en raison du risque de contagion, il se trouvait qu'aussi les dits simplets, même accompagnés de leur famille et de constitution physique parfaite leur permettant d'abattre de lourdes besognes, n'avaient pas plus leur place sur le territoire américain. Bref, "America, America", l'Eldorado rêvé pour tous, n'était à la portée que des chanceux généralement nantis ou de personnes à la santé vigoureuse capables d'aller conquérir les derniers lopins de terre détenus encore par des indigènes pervertis par la voracité sans limite des blancs ou grossir des villes en pleine expansion industrielle.
Notre protagoniste du roman particulièrement cruel de Gaëlle Josse, dénommé John Mitchell, démarre jeune sa fonction dans le système immuable d'Ellis Island au début du XXÈME siècle, d'abord en se chargeant d'aiguillonner les passagers qui débarquaient à la pointe de Manhattan, notamment les 3ème classes vers les barges d'embarquement en direction de l'îlot stratégique qui servait de sas entre l'Amérique et les émigrants venant du monde entier et la termine en tant que dernier directeur du centre de tri humain le 12/11/1954. En effet, le bureau fédéral de l'immigration, implanté à New York et chargé de gérer l'entrée ou non sur le territoire de toutes demandes pour venir s'installer aux États-Unis, a averti John Mitchell le 03/11/1954 qu'il a neuf jours pour préparer son départ d'une île dont il a été le dernier gardien mais aussi le dernier prisonnier d'après le ressenti de celui-ci.. Neuf jours pour fermer les bâtiments de l'îlot. Neuf jours pour se souvenir de tous les instants vécus à Ellis Island. Neuf jours pour les écrire afin de ne point oublier. Sa punition. Ne rien oublier pour atteindre la rédemption. Une intégrité rigide confondue à celle d'Ellis, amenant le protagoniste à ne plus quitter l'îlot... Surtout après le décès tragique de sa femme, Liz, aimée passionnément et infirmière à Ellis, dans les années vingt. Une après-guerre où les immigrants étaient engorgés de maladies épidémiques causant des hécatombes sur la petite île. John Mitchell, dès lors, se cloîtra comme dans un acte de foi en ces lieux confinés, échappant ainsi au fourmillement agressif de la ville continentale en plein essor. Pourtant, ce fut ses propres pulsions qu'il avait toujours crues, dur comme fer, camisolées, les considérant même perdues à jamais dans des oubliettes entraînées dans les profondeurs de son esprit endoctriné, qui le décidèrent au bout de tant d'années d'abnégation consacrée uniquement à la sainte administration des Etats-Unis, à s'extirper des murs d'Ellis. Une première qu'il voulut masquer et préféra truander de manière éhontée son équipe pour que personne ne sache rien. Il avait été vital pour lui, durant toutes ces années, d'avoir trouvé son salut en finissant par faire partie intégrante des bâtiments d'Ellis Island au point de n'en faire plus qu'un, entremêlant chair et brique, ossements et béton, esprit tourmenté et travées pourtant à l'abandon. Il se désincarcéra à sa quotidienneté figée lorsqu'il fit la rencontre de Nella, une jeune sarde, désireuse d'aller vivre en Amérique avec son frère. Ce dernier étant jugé trop simple pour avoir le droit de débarquer sur le Nouveau-Monde, Nella, confrontée aux tragiques conséquences de ce refus et notamment à la bassesse de John Mitchell, s'assura de lui forger son destin en lui jetant un sort funeste. Acqua e fueco.
Un petit livre frémissant de tant d'injustices et d'indifférence à l'égard des immigrants pauvres et malchanceux que celui-ci ne peut que rester entre mes mains pantelantes d'horreur et je repense alors à mon passage sur les lieux, il y a bon nombre d'années, la tête remplie d'images du film d'Elia Kazan. Le grand hall et toutes ces photos pitoyables, ces peintures criantes de vérité sur la détresse de tous ces immigrants riche d'espoir seulement qui sont tous immuablement passés à la case Ellis Island avant d'atteindre le pays de la liberté.. A condition qu'ils entrent dans les rangs comme l'exigent les fonctionnaires d'America.

Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse (billet)
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